La question de l’accès équitable à l’assurance emprunteur représente un enjeu majeur dans le processus d’acquisition immobilière. Face aux pratiques discriminatoires qui ont longtemps caractérisé ce secteur, le cadre législatif français a connu des évolutions significatives ces dernières années. Ces transformations visent à garantir que chaque personne, indépendamment de son état de santé, de son âge ou d’autres caractéristiques personnelles, puisse accéder à une couverture assurantielle adaptée lors de la souscription d’un prêt immobilier. Cette problématique, à l’intersection du droit des assurances, du droit bancaire et des droits fondamentaux, soulève des questions juridiques complexes et nécessite une analyse approfondie des mécanismes mis en place pour lutter contre les discriminations.
Le cadre juridique de la non-discrimination dans l’assurance emprunteur
Le principe de non-discrimination dans l’accès à l’assurance prêt immobilier s’inscrit dans un cadre normatif dense, combinant dispositions générales et règles spécifiques au secteur assurantiel. La Constitution française et son préambule posent les bases de l’égalité entre citoyens. Ce principe est renforcé par l’article 225-1 du Code pénal qui prohibe toute forme de discrimination fondée notamment sur l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou l’état de santé.
Dans le domaine spécifique de l’assurance, le Code des assurances a progressivement intégré des dispositions visant à limiter les pratiques discriminatoires. La loi Évin de 1989 constitue une première avancée majeure en posant les jalons d’une meilleure protection des personnes présentant un risque aggravé de santé. Cette législation a ensuite été complétée par la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) signée en 2006 et régulièrement révisée depuis.
Plus récemment, la loi Lemoine du 28 février 2022 a marqué une avancée considérable en consacrant le droit à l’oubli et en supprimant le questionnaire médical pour certains prêts immobiliers. Cette évolution législative témoigne d’une volonté de renforcer la protection des emprunteurs face aux pratiques discriminatoires des assureurs.
La hiérarchie des normes applicables
Le cadre juridique de la non-discrimination dans l’assurance emprunteur s’organise selon une hiérarchie précise :
- Les principes constitutionnels et conventionnels (CEDH, droit européen)
- Les dispositions législatives générales (Code pénal, Code civil)
- Les règles spécifiques au secteur assurantiel (Code des assurances)
- Les dispositifs conventionnels (AERAS)
- La jurisprudence des juridictions nationales et européennes
Cette architecture normative complexe reflète les tensions inhérentes à la matière : d’un côté, la nécessité de protéger les droits fondamentaux des personnes ; de l’autre, la prise en compte des contraintes techniques propres à l’activité d’assurance, fondée sur l’évaluation et la tarification du risque. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs eu l’occasion de préciser les contours de cette articulation dans l’arrêt Test-Achats du 1er mars 2011, qui a prohibé les différenciations tarifaires fondées sur le sexe dans les contrats d’assurance.
Les discriminations liées à l’état de santé : mécanismes de protection
Les personnes présentant un risque aggravé de santé ont longtemps fait face à des obstacles considérables pour accéder à l’assurance emprunteur, compromettant ainsi leur projet immobilier. Face à cette problématique, plusieurs dispositifs ont été mis en place pour garantir un accès plus équitable à l’assurance.
La convention AERAS constitue le pilier central de cette protection. Ce dispositif conventionnel, fruit d’une collaboration entre pouvoirs publics, associations de patients et professionnels du secteur, organise un examen approfondi des demandes d’assurance selon trois niveaux. Le premier niveau correspond à l’analyse standard de la demande par l’assureur. En cas de refus, le dossier est automatiquement transmis à un deuxième niveau d’examen, puis éventuellement à un troisième niveau pour les cas les plus complexes.
Cette convention a été renforcée par l’instauration du droit à l’oubli, consacré initialement par la loi du 26 janvier 2016 puis élargi par la loi Lemoine. Ce mécanisme permet aux personnes ayant souffert de certaines pathologies, notamment cancéreuses, de ne plus avoir à les déclarer à l’assureur après un délai défini, actuellement fixé à cinq ans après la fin des traitements. Cette avancée majeure vise à éviter que des antécédents médicaux n’entravent durablement l’accès à l’assurance.
La grille de référence AERAS complète ce dispositif en fixant, pour certaines pathologies, les conditions d’accès à l’assurance sans surprime ni exclusion de garantie. Cette grille, régulièrement actualisée pour tenir compte des progrès médicaux, couvre désormais de nombreuses affections chroniques comme le diabète, l’hépatite C ou certaines formes de cancer.
La suppression du questionnaire médical
L’évolution la plus récente en matière de lutte contre les discriminations liées à l’état de santé réside dans la suppression du questionnaire médical pour certains prêts immobiliers. La loi Lemoine a en effet instauré cette exemption pour les prêts immobiliers dont le montant est inférieur à 200 000 euros par assuré et dont le terme intervient avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur.
Cette mesure représente une rupture paradigmatique dans l’approche du risque en assurance emprunteur. En dispensant certains emprunteurs de déclarer leur état de santé, le législateur a fait prévaloir le droit à l’accès au logement sur les considérations actuarielles traditionnelles. Cette innovation juridique, sans précédent en Europe, témoigne de la volonté de placer la non-discrimination au cœur du dispositif d’assurance emprunteur.
L’âge comme facteur de discrimination : enjeux et protections
L’âge constitue un autre facteur de discrimination potentielle dans l’accès à l’assurance prêt immobilier. Les seniors font souvent face à des difficultés accrues pour s’assurer, en raison de la corrélation statistique entre âge avancé et augmentation des risques de santé. Cette situation soulève d’importantes questions juridiques et sociales dans un contexte de vieillissement démographique.
Contrairement à d’autres formes de discrimination, la différenciation tarifaire fondée sur l’âge n’est pas prohibée en tant que telle par le droit des assurances. L’article L111-7 du Code des assurances prévoit expressément que les différences de traitement en matière de cotisations fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont proportionnées au risque. Toutefois, cette liberté tarifaire trouve ses limites dans le principe d’égalité d’accès à l’assurance.
Pour remédier aux difficultés rencontrées par les emprunteurs âgés, plusieurs dispositifs ont été mis en place. La convention AERAS intègre une attention particulière aux demandes émanant de personnes âgées. Par ailleurs, de nombreux assureurs ont développé des offres spécifiques pour les seniors, avec des garanties adaptées et des tarifications modulées.
La jurisprudence a joué un rôle déterminant dans la définition des limites acceptables de la discrimination fondée sur l’âge. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser que si une différenciation tarifaire fondée sur l’âge peut être justifiée par des données actuarielles, un refus systématique d’assurance fondé exclusivement sur ce critère peut constituer une discrimination illicite.
Le cas particulier des limites d’âge contractuelles
De nombreux contrats d’assurance emprunteur prévoient des limites d’âge, tant pour la souscription que pour la fin des garanties. Ces clauses peuvent constituer un obstacle majeur pour les emprunteurs âgés, particulièrement dans un contexte d’allongement de la durée des prêts immobiliers et de recul de l’âge de la retraite.
La validité de ces clauses a été questionnée au regard du principe de non-discrimination. Le Défenseur des droits a ainsi eu l’occasion de souligner que les limites d’âge contractuelles devaient être objectivement justifiées par un but légitime et mises en œuvre de façon proportionnée. En pratique, certains assureurs ont revu leurs pratiques pour offrir des solutions aux emprunteurs âgés, notamment en relevant les limites d’âge contractuelles ou en proposant des garanties alternatives.
La loi MURCEF du 11 décembre 2001 a par ailleurs consacré le principe de la déliaison entre prêt et assurance, permettant aux emprunteurs de choisir librement leur assureur. Cette faculté, renforcée par les lois Lagarde, Hamon et Bourquin, constitue un levier efficace pour les personnes âgées qui peuvent ainsi rechercher l’offre la plus adaptée à leur profil.
Les autres formes de discrimination dans l’accès à l’assurance emprunteur
Au-delà des discriminations liées à l’état de santé et à l’âge, d’autres facteurs peuvent entraver l’accès équitable à l’assurance prêt immobilier. Ces formes de discrimination, parfois plus insidieuses, font l’objet d’une attention croissante de la part du législateur et des autorités de régulation.
La discrimination fondée sur le handicap constitue une problématique majeure dans l’accès à l’assurance emprunteur. Si la convention AERAS couvre partiellement cette question sous l’angle du risque de santé, la situation des personnes handicapées sans pathologie associée reste souvent complexe. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées a renforcé la protection contre ces discriminations, mais des difficultés pratiques persistent.
La discrimination fondée sur la profession représente une autre problématique significative. Certaines catégories professionnelles considérées comme à risque (professions libérales, artisans, intermittents du spectacle) peuvent faire face à des surprimes ou des exclusions de garantie. La jurisprudence tend à admettre ces différenciations lorsqu’elles reposent sur des données statistiques objectives, mais sanctionne les refus systématiques non justifiés.
Les discriminations liées au lieu de résidence soulèvent également des questions juridiques complexes. La loi du 27 janvier 2014 a introduit le critère de discrimination fondée sur le lieu de résidence, mais son application dans le domaine de l’assurance reste limitée, les assureurs conservant une large liberté dans l’appréciation territoriale du risque.
Le défi des nouvelles formes de discrimination
L’évolution des techniques d’évaluation du risque fait émerger de nouvelles formes potentielles de discrimination. L’utilisation croissante des algorithmes et du big data dans le secteur assurantiel soulève ainsi d’importantes questions éthiques et juridiques. Ces outils peuvent en effet reproduire, voire amplifier, des biais discriminatoires préexistants.
Face à ces enjeux, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) ont développé une vigilance accrue. L’encadrement juridique de ces nouvelles pratiques reste toutefois en construction, illustrant la nécessité d’une adaptation continue du droit face aux innovations technologiques.
- Discriminations fondées sur les données génétiques
- Discriminations liées aux modes de vie
- Discriminations algorithmiques indirectes
Le législateur a pris la mesure de ces enjeux en interdisant expressément l’utilisation des tests génétiques à des fins d’assurance (article L1141-1 du Code de la santé publique). Cette interdiction témoigne de la volonté d’établir des limites claires à l’investigation du risque par les assureurs.
Vers une effectivité renforcée du droit à la non-discrimination
Malgré les avancées législatives et réglementaires, l’effectivité du droit à la non-discrimination dans l’accès à l’assurance prêt immobilier reste un défi majeur. Plusieurs pistes peuvent être explorées pour renforcer la protection des emprunteurs face aux pratiques discriminatoires.
Le renforcement des mécanismes de contrôle et de sanction constitue un premier levier d’action. Si l’ACPR dispose déjà de prérogatives étendues en matière de supervision des pratiques assurantielles, l’efficacité de son action pourrait être amplifiée par une meilleure coordination avec les autres autorités compétentes, notamment le Défenseur des droits.
L’amélioration de l’information des emprunteurs sur leurs droits représente un autre axe de progression. De nombreuses personnes renoncent à faire valoir leurs droits par méconnaissance des dispositifs existants ou par crainte de compromettre leur projet immobilier. Des campagnes d’information ciblées et le développement d’outils pédagogiques pourraient contribuer à remédier à cette situation.
Le développement de mécanismes alternatifs de partage du risque offre également des perspectives prometteuses. À cet égard, l’expérience de certains pays européens, comme les Pays-Bas avec leur système de mutualisation renforcée des risques aggravés, pourrait inspirer des évolutions du modèle français.
Le rôle croissant du juge dans la protection contre les discriminations
La jurisprudence joue un rôle de plus en plus déterminant dans la définition des contours du droit à la non-discrimination en matière d’assurance. Les juridictions françaises et européennes ont progressivement affiné leur approche, recherchant un équilibre entre la liberté contractuelle des assureurs et la protection des droits fondamentaux des emprunteurs.
Plusieurs décisions récentes témoignent de cette évolution. Dans un arrêt du 9 novembre 2018, la Cour de cassation a ainsi rappelé que le refus d’assurance opposé à une personne en raison de son état de santé devait être objectivement justifié par des éléments actuariels précis. De même, le Conseil d’État, dans une décision du 17 mars 2021, a souligné l’obligation pour les assureurs de motiver précisément les refus d’assurance ou les surprimes appliquées aux personnes présentant un risque aggravé de santé.
Cette jurisprudence protectrice s’inscrit dans un mouvement plus large de constitutionnalisation et d’internationalisation du droit des assurances. L’influence croissante des droits fondamentaux sur la relation assureur-assuré traduit une évolution profonde de la conception même du contrat d’assurance, désormais perçu non plus seulement comme un instrument technique de gestion du risque, mais comme un vecteur d’accès à des droits fondamentaux comme le logement.
Les perspectives d’évolution du cadre juridique de la non-discrimination en assurance emprunteur s’articulent autour de plusieurs tendances de fond : renforcement des droits des emprunteurs, transparence accrue des pratiques assurantielles, et développement de mécanismes innovants de partage du risque. Ces orientations traduisent la recherche permanente d’un équilibre entre les impératifs techniques de l’assurance et les exigences fondamentales de justice sociale et d’égalité d’accès aux services financiers.
