La mise sous tutelle en cas de dilapidation du patrimoine: protection juridique et enjeux familiaux

La dilapidation du patrimoine constitue un risque majeur pour les personnes vulnérables, qu’il s’agisse de personnes âgées, de majeurs souffrant de troubles cognitifs ou d’individus victimes d’addictions. Face à ce danger, le droit français a instauré des mécanismes de protection, dont la tutelle représente la mesure la plus complète. Cette procédure juridique, encadrée par le Code civil, permet de protéger une personne majeure dont les facultés mentales ou corporelles sont altérées, l’empêchant de pourvoir seule à ses intérêts. La mise sous tutelle pour dilapidation du patrimoine soulève des questions fondamentales touchant à l’équilibre entre protection des biens, respect des libertés individuelles et préservation de la dignité humaine.

Cadre juridique de la tutelle: fondements et conditions d’application

La mise sous tutelle s’inscrit dans un cadre législatif précis, principalement défini par les articles 425 à 515 du Code civil, issus de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, et modifiés par la loi du 23 mars 2019. Ces dispositions légales établissent un régime de protection graduée, plaçant la tutelle comme mesure de dernier recours, après la sauvegarde de justice et la curatelle.

Pour qu’une mesure de tutelle soit prononcée en cas de dilapidation du patrimoine, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies. Premièrement, l’existence d’une altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement constatée. Cette altération doit empêcher la personne d’exprimer sa volonté. Deuxièmement, cette altération doit être de nature à compromettre la gestion du patrimoine de la personne concernée. Troisièmement, aucune mesure moins contraignante, comme la curatelle ou l’habilitation familiale, ne doit pouvoir assurer une protection suffisante.

La notion juridique de dilapidation du patrimoine

La dilapidation se caractérise par un comportement de dépenses excessives, inconsidérées ou inappropriées, entraînant un appauvrissement significatif et injustifié du patrimoine. Elle peut se manifester de diverses manières: dons inconsidérés à des tiers, achats compulsifs, investissements hasardeux, ou abandon de la gestion des biens. La jurisprudence a progressivement défini cette notion en considérant non seulement l’ampleur des dépenses, mais surtout leur caractère irrationnel et potentiellement nuisible pour la personne.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2016 (n°15-10587), les juges ont précisé que la dilapidation doit être appréciée au regard de l’ensemble du patrimoine de la personne et de ses revenus. Un comportement dispendieux n’est pas nécessairement constitutif d’une dilapidation si le patrimoine global n’est pas menacé. En revanche, dans une décision du 6 novembre 2013 (n°12-23766), la Haute juridiction a confirmé une mise sous tutelle pour une personne qui, bien que disposant d’un patrimoine conséquent, le dilapidait de façon systématique sous l’influence de tiers.

Il convient de souligner que la simple mauvaise gestion ne suffit pas à justifier une mesure de tutelle. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 mars 2018, a rappelé que « le droit à la mauvaise gestion fait partie des libertés fondamentales » et que seule une altération médicalement constatée des facultés justifie l’intervention du juge.

  • Existence d’une altération des facultés mentales ou corporelles médicalement constatée
  • Comportement de dépenses excessives et irrationnelles
  • Menace réelle pour le patrimoine de la personne
  • Insuffisance des mesures moins contraignantes

Le certificat médical circonstancié, établi par un médecin inscrit sur la liste du procureur de la République, constitue la pièce maîtresse du dossier. Ce document doit décrire précisément l’altération des facultés et son impact sur la gestion patrimoniale. Sans ce certificat, aucune procédure de tutelle ne peut être engagée, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans sa décision du 29 juin 2011.

Procédure de mise sous tutelle: étapes et acteurs

La procédure de mise sous tutelle pour dilapidation du patrimoine obéit à un formalisme rigoureux, destiné à garantir tant les droits de la personne à protéger que l’efficacité de la mesure. Cette procédure se déroule devant le juge des contentieux de la protection (anciennement juge des tutelles), magistrat spécialisé du tribunal judiciaire.

L’initiative de la demande

La demande de mise sous tutelle peut être formulée par différentes personnes. Le majeur concerné lui-même peut solliciter sa propre protection, dans un moment de lucidité. Son conjoint, son partenaire de PACS ou son concubin peuvent agir, sauf en cas de rupture de la vie commune. Les membres de sa famille (parents, enfants, frères et sœurs) disposent du même droit. Le procureur de la République peut agir d’office ou être saisi par un tiers (médecin, travailleur social, voisin). Enfin, toute personne entretenant des liens étroits et stables avec le majeur peut initier la procédure.

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La requête doit être déposée au greffe du tribunal judiciaire du lieu de résidence du majeur à protéger. Elle doit obligatoirement être accompagnée d’un certificat médical circonstancié établi par un médecin inscrit sur une liste spéciale dressée par le procureur de la République. Ce certificat, dont le coût (environ 160 à 200 euros) reste à la charge du demandeur, constitue une pièce indispensable du dossier.

Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Bordeaux le 15 septembre 2017, une demande de tutelle pour dilapidation a été rejetée car le certificat médical ne démontrait pas suffisamment le lien entre les troubles cognitifs diagnostiqués et les comportements de dépenses excessives constatés.

L’instruction de la demande et l’audience

Une fois la requête enregistrée, le juge des contentieux de la protection procède à l’instruction du dossier. Il auditionne obligatoirement la personne concernée, sauf si cette audition est de nature à porter atteinte à sa santé ou si celle-ci est dans l’impossibilité de s’exprimer. Cette audition peut se dérouler au tribunal, au domicile de l’intéressé ou dans l’établissement où il réside.

Le juge entend généralement les proches du majeur et peut ordonner toute mesure d’investigation nécessaire, comme une enquête sociale. Il peut désigner un mandataire spécial pour la durée de l’instance, afin de protéger temporairement la personne et ses biens.

L’audience se déroule en chambre du conseil, c’est-à-dire non publique, afin de préserver la vie privée du majeur. La personne concernée peut être assistée d’un avocat, dont les honoraires peuvent être pris en charge par l’aide juridictionnelle si ses ressources sont insuffisantes.

  • Dépôt de la requête avec certificat médical circonstancié
  • Audition de la personne à protéger
  • Consultation des proches et éventuelles investigations complémentaires
  • Délibération et jugement

Le jugement de tutelle doit être motivé et préciser la durée de la mesure, qui ne peut excéder cinq ans. Il désigne le tuteur et, le cas échéant, le subrogé tuteur ou le conseil de famille. Ce jugement est notifié à toutes les parties et fait l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance du majeur protégé. Cette publicité est fondamentale pour l’opposabilité de la mesure aux tiers, notamment les établissements bancaires et les notaires.

Effets de la tutelle sur la gestion du patrimoine

La tutelle entraîne une incapacité d’exercice pour le majeur protégé, qui se trouve dessaisi de ses droits patrimoniaux. Cette mesure de protection produit des effets considérables sur la gestion des biens, avec pour objectif premier d’empêcher la poursuite de la dilapidation du patrimoine.

Les pouvoirs du tuteur en matière patrimoniale

Le tuteur devient le représentant légal du majeur protégé pour tous les actes concernant son patrimoine. Il perçoit les revenus, règle les dépenses, gère les comptes bancaires et les placements financiers. Son intervention se décline différemment selon la nature des actes à accomplir.

Pour les actes conservatoires et d’administration, comme l’encaissement des revenus, le paiement des factures courantes ou la souscription d’une assurance, le tuteur agit seul. Il doit toutefois respecter les prescriptions du Code civil et du décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 qui dresse une liste des actes relevant de cette catégorie.

Pour les actes de disposition, qui engagent le patrimoine de façon durable et substantielle (vente d’un bien immobilier, placement financier important, donation), le tuteur doit obtenir l’autorisation préalable du juge des contentieux de la protection. Cette autorisation constitue une garantie contre les risques d’abus ou de mauvaise gestion.

Dans un arrêt du 4 novembre 2015, la Cour de cassation a annulé une vente immobilière réalisée par un tuteur sans autorisation judiciaire, malgré l’intérêt apparent de l’opération pour le majeur protégé, rappelant ainsi le caractère impératif de ces dispositions protectrices.

L’inventaire et les comptes de gestion

Dès sa nomination, le tuteur doit procéder à un inventaire complet du patrimoine du majeur protégé. Cet inventaire, réalisé dans les trois mois de l’ouverture de la tutelle, constitue la photographie initiale du patrimoine à préserver. Il doit être actualisé en cours de mesure en cas d’évolution significative des biens.

Le tuteur est tenu d’établir annuellement un compte de gestion, détaillant l’ensemble des opérations financières effectuées au cours de l’année. Ce document doit être adressé au greffier en chef du tribunal judiciaire ou au subrogé tuteur lorsqu’il en a été désigné un. Pour les tutelles familiales, le juge peut, au vu de la modicité des revenus et du patrimoine du majeur, dispenser le tuteur de cette obligation.

La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 7 février 2020, a révoqué un tuteur qui avait négligé d’établir les comptes de gestion pendant plusieurs années, empêchant ainsi tout contrôle effectif de sa gestion, alors même qu’aucun détournement n’avait été prouvé.

  • Représentation du majeur pour tous les actes patrimoniaux
  • Distinction entre actes d’administration (autonomie du tuteur) et actes de disposition (autorisation du juge)
  • Obligation d’inventaire initial et de comptes de gestion annuels
  • Responsabilité civile du tuteur en cas de mauvaise gestion

Il est à noter que certains actes strictement personnels, comme la rédaction d’un testament, demeurent de la compétence exclusive du majeur protégé, s’il est en état de manifester sa volonté. Pour d’autres actes mixtes, comme le mariage ou le divorce, des régimes spécifiques s’appliquent, combinant intervention du tuteur et expression de la volonté du majeur.

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Choix et responsabilités du tuteur face à la dilapidation

Le choix du tuteur revêt une importance capitale dans les situations de dilapidation du patrimoine. Ce choix obéit à des règles précises, établies par le Code civil, qui privilégient certaines personnes tout en tenant compte des spécificités de chaque situation.

Hiérarchie légale et désignation du tuteur

Selon l’article 449 du Code civil, le juge doit respecter une hiérarchie dans la désignation du tuteur. En premier lieu, il doit tenir compte d’une éventuelle désignation anticipée faite par le majeur lui-même, lorsqu’il était encore en pleine possession de ses facultés, par voie de mandat de protection future ou de déclaration devant notaire.

À défaut d’une telle désignation, le juge doit privilégier le conjoint ou le partenaire de PACS, sauf en cas de rupture de la vie commune. Viennent ensuite un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur et entretenant avec lui des liens étroits et stables.

Si aucune de ces personnes ne peut assumer cette charge, le juge désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM), professionnel formé et agréé par l’État. Cette solution est particulièrement indiquée dans les cas de dilapidation complexe ou lorsque des conflits familiaux risquent d’entraver la bonne gestion du patrimoine.

Dans une décision du 14 janvier 2016, le Tribunal d’instance de Toulouse a écarté la fille d’une majeure protégée comme tutrice potentielle, malgré la hiérarchie légale, en raison de sa proximité avec un tiers ayant bénéficié des libéralités inconsidérées à l’origine de la dilapidation du patrimoine. Le tribunal a préféré désigner un MJPM pour garantir une gestion neutre et professionnelle.

Responsabilités et obligations spécifiques face à la dilapidation

Le tuteur chargé de gérer le patrimoine d’une personne ayant tendance à la dilapidation fait face à des défis particuliers. Il doit non seulement assurer une gestion prudente des biens, mais parfois composer avec les résistances du majeur protégé, qui peut mal accepter les restrictions imposées à sa liberté de dépenser.

Pour prévenir toute poursuite de la dilapidation, le tuteur peut mettre en place plusieurs dispositifs pratiques. En premier lieu, il peut solliciter auprès du juge la fermeture de certains comptes bancaires accessibles au majeur ou la limitation drastique des moyens de paiement à sa disposition. Le maintien d’un budget d’argent de vie quotidienne adapté aux besoins réels permet de préserver une certaine autonomie tout en évitant les excès.

Dans les cas les plus problématiques, notamment lorsque des addictions (jeu pathologique, alcoolisme) sont à l’origine de la dilapidation, le tuteur peut collaborer avec des professionnels de santé pour mettre en place un accompagnement médico-social adapté. Cette dimension thérapeutique est parfois indispensable pour traiter les causes profondes du comportement dilapidateur.

La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 23 mai 2019, a validé la décision d’un tuteur de placer en établissement spécialisé un majeur souffrant d’addiction au jeu qui avait dilapidé près de 70% de son patrimoine en moins de deux ans, considérant que cette mesure relevait de la protection tant de la personne que de ses biens.

  • Respect de la hiérarchie légale dans le choix du tuteur
  • Possibilité de désignation d’un mandataire judiciaire professionnel dans les cas complexes
  • Mise en place de dispositifs pratiques pour empêcher la poursuite de la dilapidation
  • Traitement des causes sous-jacentes du comportement dilapidateur

Le tuteur engage sa responsabilité civile pour les dommages résultant d’une mauvaise gestion. L’article 421 du Code civil précise qu’il est responsable du préjudice résultant d’une faute quelconque commise dans l’exercice de sa fonction. Cette responsabilité s’apprécie toutefois au regard des circonstances particulières de chaque espèce, les tribunaux tenant compte des difficultés inhérentes à la gestion d’un patrimoine précédemment dilapidé.

Les voies alternatives et l’évolution de la protection patrimoniale

Si la tutelle constitue la réponse juridique la plus complète face à la dilapidation du patrimoine, elle n’est ni la seule ni nécessairement la plus adaptée dans toutes les situations. Le législateur français, notamment avec la loi du 23 mars 2019, a renforcé les mécanismes alternatifs permettant une protection plus souple et mieux proportionnée.

Les mesures graduées: curatelle renforcée et assistance aux biens

La curatelle renforcée représente souvent une alternative pertinente à la tutelle dans les cas de dilapidation modérée. Cette mesure, prévue à l’article 472 du Code civil, confère au curateur des pouvoirs étendus en matière de gestion des revenus, tout en préservant une capacité d’initiative pour le majeur protégé. Concrètement, le curateur perçoit seul les revenus, assure le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l’excédent sur un compte ouvert au nom du majeur.

L’avantage majeur de cette mesure réside dans son caractère moins stigmatisant et plus respectueux de l’autonomie. Le majeur sous curatelle renforcée conserve le droit d’accomplir seul certains actes, comme contracter un bail d’habitation ou accepter un emploi. Pour les actes de disposition, sa signature reste nécessaire aux côtés de celle du curateur, garantissant ainsi son implication dans les décisions patrimoniales importantes.

Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Lyon le 9 octobre 2018, les juges ont transformé une tutelle en curatelle renforcée pour une personne qui, après plusieurs années de protection, avait démontré sa capacité à comprendre les mécanismes de gestion patrimoniale et à collaborer avec son protecteur légal, tout en conservant une tendance aux dépenses excessives nécessitant un encadrement.

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Les dispositifs conventionnels: habilitation familiale et mandat de protection future

L’habilitation familiale, introduite par l’ordonnance du 15 octobre 2015 et renforcée par la loi de 2019, constitue une voie médiane particulièrement adaptée aux situations familiales apaisées. Ce dispositif permet à un proche (descendant, ascendant, frère ou sœur, partenaire de PACS ou concubin) d’être habilité par le juge à représenter la personne vulnérable sans être soumis au formalisme des mesures judiciaires classiques.

L’habilitation peut être générale ou limitée à certains actes, selon les besoins de protection identifiés. Son principal avantage réside dans l’absence de comptes de gestion annuels à soumettre au greffe et dans une plus grande souplesse d’exécution. Toutefois, pour les actes de disposition les plus importants, comme la vente d’un bien immobilier, l’autorisation du juge demeure nécessaire.

Le mandat de protection future représente quant à lui l’expression la plus aboutie de l’autonomie de la volonté en matière de protection. Ce contrat permet à toute personne majeure de désigner à l’avance la ou les personnes chargées de veiller sur ses intérêts le jour où elle ne pourra plus le faire elle-même. Particulièrement pertinent pour les personnes conscientes de risques futurs de dilapidation (première phase d’une maladie neurodégénérative, antécédents familiaux), ce mandat peut être établi sous forme notariée ou sous seing privé.

Le Conseil supérieur du notariat a publié en 2021 des statistiques révélant une augmentation de 30% des mandats de protection future notariés en cinq ans, témoignant de l’intérêt croissant pour cet outil préventif contre les risques patrimoniaux liés à la vulnérabilité.

  • Curatelle renforcée: contrôle des revenus avec maintien d’une capacité juridique partielle
  • Habilitation familiale: solution simplifiée pour les contextes familiaux sereins
  • Mandat de protection future: anticipation personnalisée des risques de dilapidation
  • Sauvegarde de justice: protection temporaire pendant l’évaluation de la situation

Ces dispositifs alternatifs s’inscrivent dans une évolution plus large du droit des majeurs protégés, marquée par la recherche d’un équilibre entre protection efficace du patrimoine et respect de l’autonomie de la personne. La Cour européenne des droits de l’homme, dans plusieurs arrêts dont celui du 17 janvier 2012 (Stanev c. Bulgarie), a d’ailleurs rappelé la nécessité de mesures proportionnées et régulièrement réévaluées, principes désormais intégrés dans notre droit interne.

Enjeux humains et éthiques de la protection contre la dilapidation

Au-delà des aspects strictement juridiques, la mise sous tutelle pour dilapidation du patrimoine soulève des questions profondes touchant à la dignité humaine, à l’équilibre familial et à la conception même de la protection des personnes vulnérables. Ces dimensions éthiques doivent être prises en compte pour une application humaniste des dispositifs juridiques.

Préservation de la dignité et de l’autonomie résiduelle

La protection contre la dilapidation doit s’exercer dans le respect de la dignité de la personne protégée. Cette exigence éthique fondamentale implique de maintenir, autant que possible, une sphère d’autonomie financière, même restreinte. Le Défenseur des droits, dans son rapport de 2016 sur les droits des majeurs protégés, insistait sur la nécessité d’un « argent de vie » laissé à la libre disposition de la personne, adapté à ses besoins et capacités.

Cette préservation de l’autonomie passe par une approche individualisée de la protection. Le juge des contentieux de la protection doit déterminer précisément, dans son jugement, les actes que le majeur peut accomplir seul, ceux pour lesquels il doit être assisté, et ceux relevant de la seule compétence du tuteur. Cette personnalisation de la mesure permet d’éviter l’écueil d’une protection standardisée qui nierait la singularité de chaque situation.

Dans une décision novatrice du 3 avril 2019, le Tribunal judiciaire de Paris a autorisé une personne sous tutelle pour dilapidation à conserver la gestion d’un compte bancaire alimenté mensuellement par une somme modique mais suffisante pour ses loisirs, reconnaissant ainsi l’importance thérapeutique du maintien d’une certaine liberté financière.

Impacts psychologiques et familiaux de la mesure

La mise sous tutelle peut engendrer des traumatismes psychologiques significatifs chez la personne protégée, qui peut vivre cette mesure comme une dépossession, une infantilisation ou une humiliation. Ces sentiments sont particulièrement aigus lorsque la mesure intervient après une période de dilapidation, souvent associée à un sentiment de liberté ou à une compensation psychologique.

Les dynamiques familiales se trouvent profondément modifiées par la désignation d’un tuteur familial. Le déséquilibre des pouvoirs entre le membre de la famille investi de l’autorité tutélaire et le majeur protégé peut entraîner des tensions, des ressentiments ou des conflits ouverts. La psychologue clinicienne Véronique Lefebvre des Noëttes, spécialiste de la vulnérabilité, évoque fréquemment le « deuil de la relation d’égalité » que doivent faire les familles confrontées à ces situations.

Ces enjeux psychologiques et familiaux plaident pour un accompagnement pluridisciplinaire des situations de dilapidation. Le soutien psychologique du majeur protégé, mais aussi de sa famille, peut constituer un complément nécessaire à la mesure juridique. Cette approche globale permet d’aborder les causes profondes de la dilapidation (compensation affective, angoisse existentielle, addiction) plutôt que de se limiter à en traiter les symptômes.

La médiation familiale représente un outil précieux pour apaiser les tensions et reconstruire une communication saine autour des questions patrimoniales. Plusieurs tribunaux judiciaires, comme celui de Bordeaux ou de Nantes, ont développé des protocoles de médiation spécifiques aux situations de protection des majeurs, avec des résultats encourageants en termes d’acceptation des mesures et de prévention des conflits.

  • Maintien d’une sphère d’autonomie financière adaptée aux capacités réelles
  • Personnalisation de la mesure pour respecter la singularité de chaque situation
  • Accompagnement psychologique du majeur protégé et de sa famille
  • Recours à la médiation pour prévenir ou résoudre les conflits familiaux

La protection contre la dilapidation soulève enfin la question philosophique des limites de l’intervention sociale face aux choix individuels. Jusqu’où la société peut-elle restreindre la liberté d’une personne de disposer de ses biens, même de façon déraisonnable? Cette tension entre protection et liberté traverse l’ensemble du droit des majeurs protégés et appelle à une vigilance constante des praticiens pour éviter tant les excès de protection que les abandons déguisés en respect de l’autonomie.